Une approche « beveridgienne » en Nouvelle-Zélande et en Australie
L’établissement précoce de pensions forfaitaires
La Nouvelle-Zélande a joué un rôle pionnier en matière de protection sociale en créant dès 1898 un revenu minimum sous condition de ressources pour les résidents âgés de 65 ans et plus résidant depuis au moins 25 ans dans le pays et citoyens britanniques ou naturalisés depuis au moins cinq ans. La Nouvelle-Zélande était à l’époque une colonie britannique bénéficiant d’une large autonomie.
L’Australie a fait de même en 1908. Aujourd’hui, il faut avoir résidé au moins dix années dans ce pays, dont cinq de manière continue, avant l’âge d’ouverture du droit, 65 ans pour les hommes et 64 ans pour les femmes. L’âge pour les femmes sera porté à 65 ans d’ici 2014, puis graduellement pour les deux sexes à 67 ans en 2023. La pension est forfaitaire. Elle est revalorisée en fonction de l’inflation et de l’évolution du salaire moyen brut. Depuis 2009, elle ne doit pas descendre en-dessous de 27,7 % du salaire moyen d’un salarié de sexe masculin pour un individu isolé, et de 40 % pour un couple. En pratique, en 2010, elle représentait l’équivalent de 1 000 € par mois pour un individu et 1 500 € pour un couple.
La condition de ressources porte à la fois sur les revenus annuels et sur le patrimoine. Les revenus dépassant un plafond (doublé pour les couples) entraîne une réduction de la pension égale à 50 % du montant du dépassement. De même, le patrimoine dépassant le plafond entraîne une réduction égale à 0,3 % du montant du dépassement. En 2010, 25 % des personnes remplissant les conditions d’âge et de résidence n’avaient pas le droit à la pension minimum en raison des critères de ressources, 33 % avaient droit à une pension réduite (27 % du fait du critère revenu, 6 % du fait du critère patrimonial), 42 % avaient droit à la pension complète. Ces conditions de ressources sont revues annuellement. La pension forfaitaire joue ainsi un rôle de filet de sécurité. En 2009, lorsque les retraites complémentaires ont commencé à diminuer du fait de la crise financière, la proportion de retraités éligibles pleinement ou partiellement à cette pension s’est ainsi mise à augmenter.
La Nouvelle-Zélande a mis fin aux conditions de ressources en 1977, adoptant ainsi un modèle de pension universelle qui a longtemps été considéré comme la meilleure application du rapport Beveridge. Le système public, dit New Zealand Superannuation (NZS), verse une pension de retraite forfaitaire, non contributive, à toutes les personnes âgées de 65 ans ayant résidé dix années dans le pays depuis l’âge de 20 ans, dont cinq années après l’âge de 50 ans. Au moment de la demande de liquidation, il faut être « résident ordinaire », c'est-à-dire résider légalement en Nouvelle-Zélande et avoir l’intention d’y rester. Cette seule condition de résidence, entendue de façon stricte, témoigne de la volonté de fournir une protection sociale à tous, pourvu que le lien d’appartenance au pays soit suffisamment fort. Les personnes ne remplissant pas ce critère peuvent néanmoins recevoir une prestation d’assistance lorsqu’elles disposent de faibles ressources. Par ailleurs, les pensions acquises à l’étranger sont déduites de cette pension de base.
Cette pension forfaitaire représentait à l’origine environ la moitié du salaire brut moyen pour un célibataire et 80 % pour un couple. Elle était versée dès l’âge de 60 ans. Le vieillissement de la population a incité les pouvoirs publics à programmer dans les années 1980 un passage progressif à 65 ans, âge atteint en 2001. Les années 1990 ont vu des tentatives d’instauration de conditions de ressources, mesure rejetée par référendum en 1996. Le changement de majorité gouvernementale en 1998 est attribué aux mesures prises pour diminuer le taux de remplacement. Finalement, un fonds de réserve a été créé, alimenté par une contribution de l’Etat calculée en pourcentage du PIB et géré par un organisme indépendant. Il devrait intervenir à partir de 2020 pour lisser les évolutions et éviter une augmentation rapide des dépenses de l’Etat en matière de vieillesse, au détriment des autres postes, ou une augmentation des impôts insupportable pour les contribuables. Toutefois, l’Etat néo-zélandais a suspendu ses versements pour la période 2009-2014 en raison de la crise financière et de l’augmentation du déficit budgétaire. Un relèvement de l’âge de la retraite à 67 ans est envisagé ainsi qu’une indexation sur les prix, et non plus sur les salaires.
Le développement de l’épargne retraite
Une pension universelle mais forfaitaire, surtout si elle est soumise à des conditions de ressources, n’assure pas, sauf pour les plus modestes, le maintien du niveau de vie à la retraite. Elle appelle des compléments. Employeurs publics et privés ont donc développé volontairement des régimes à prestations définies au bénéfice de leurs employés, et ce d’autant plus qu’ils souhaitaient attirer et fidéliser la main d’œuvre. Mais les petites et moyennes entreprises n’ont généralement pas les moyens de créer un « fonds de pension » et le recours à un assureur coûte cher. Dans le secteur privé, seule une minorité de salariés, essentiellement ceux des grandes entreprises, bénéficiait d’une retraite complémentaire.
La Superannuation Guarantee australienne
C’est pourquoi l’Australie a rendu la retraite complémentaire obligatoire en adoptant, en 1992, le Superannuation Guarantee Act.
Les employeurs doivent cotiser à hauteur de 9 % du salaire compris entre un plancher non revalorisé depuis 1992 et un plafond qui correspond à environ 2,5 fois la rémunération moyenne. Ce taux de 9 % doit être porté à 12 % d’ici 2020.
Les salariés peuvent cotiser. Ils y sont fortement encouragés par un abondement de l’Etat. Il en va de même pour les travailleurs indépendants et occasionnels. Ceux qui revendent leur entreprise bénéficient d’une réduction d’impôt s’ils placent directement le produit de la vente dans un dispositif d’épargne retraite.
En 2010, 96 % des salariés à temps plein, 80 % de ceux à temps partiel et 73 % des travailleurs indépendants et occasionnels étaient couverts par un régime de « superannuation ». L’objectif de la loi, couvrir le plus grand nombre de travailleurs, a été atteint.
Ce terme de « superannuation » a été préféré à celui de « pension » en raison de la possibilité de sortir en capital plutôt qu’en rente, ce qui, dans les faits, constitue la solution choisie par la plupart des bénéficiaires.
Ce capital est disponible dès 55 ans, âge qui doit être porté à 60 ans d’ici 2025. Les intéressés peuvent utiliser leur capital sans condition d’âge en cas de licenciement ou d’incapacité permanente. En cas de décès, il revient aux héritiers. Il peut également être partagé entre les conjoints.
Une individualisation du risque
Le Superannuation Guarantee Act de 1992 a eu un impact considérable sur le paysage des retraites en Australie. L’objectif de cette loi était de couvrir le plus grand nombre de travailleurs. Au départ, les syndicats de salariés y ont été très favorables à l’inverse des employeurs et notamment des petits employeurs qui s’y sont fortement opposés, voyant dans ce dispositif un facteur inquiétant d'augmentation du coût de la main d’œuvre. Si, aujourd’hui, la Superannuation Guarantee fait consensus, elle a néanmoins modifié les relations professionnelles. Pour les entreprises de grande taille, la « fonction sociale » de la retraite a changé : elle n’est plus considérée comme un moyen d’attraction et de fidélisation des salariés, mais comme une charge salariale, au même titre que le salaire. Dans ce contexte, beaucoup ont préféré fermer les régimes d’entreprise à prestations définies pour les remplacer par des plans à cotisations définies. Largement majoritaires dans les années 1980, les régimes à prestations définies ont quasiment disparu aujourd’hui. Corrélativement, les régimes à cotisations définies, qui font porter le risque sur les salariés, se sont développés.
L’individualisation du risque résulte aussi du rôle accru donné aux assurés dans la gestion des actifs liés à la retraite, à mesure que le rôle de l’employeur et des caisses diminue. La grande majorité des caisses proposent des choix d’investissement qui supposent une information et une formation financière qui n’est pas nécessairement à la portée de tous.
Une gestion complexe
Le Fund Choice Act de 2005 a renforcé la liberté de l’assuré en lui ouvrant la possibilité de choisir son gestionnaire, non seulement pour son épargne retraite volontaire, mais également pour l’épargne retraite obligatoire financée par son employeur. Les dispositifs d’épargne retraite peuvent être gérés directement par l’entreprise, la branche professionnelle, un assureur, une banque ou le salarié lui-même. L’employeur peut inciter ses salariés à choisir le fonds de l’entreprise en versant des cotisations supplémentaires pour ceux qui y adhèrent. En pratique, peu d’employeurs le proposent, car ils n’y trouvent pas d’intérêt.
Les assurés pouvant changer de gestionnaire chaque année, la concurrence entre les différents opérateurs s’est intensifiée. Dans le même temps, les caisses d’entreprises ont décliné en raison de la législation contraignante, avec notamment l’obligation d’obtenir un agrément auprès de l’Australian Prudential Regulation Authority, l’organisme de contrôle australien. Dans ce marché concurrentiel de la protection sociale complémentaire, la transparence est de mise : publication des barèmes d’honoraires en fonction des services proposés par les caisses, notation par des organismes indépendants, renforcement des contrôles… En revanche, il n’est pas sûr que la concurrence favorise une gestion prudente et à long terme, plutôt que la recherche de la performance à court terme et risquée, mais plus facile à apprécier pour des clients souvent dépourvus de formation financière.
De plus, les changements de gestionnaires rendent difficiles le suivi des dossiers. Au final, l’employeur peut être amené à verser les cotisations à plusieurs caisses de retraite pour un même salarié. Le dispositif est complexe et coûteux pour la plupart des travailleurs en raison de la multiplication des frais de gestion, qui représentent une charge disproportionnée pour les petits comptes. En outre, il n’existe aucun système centralisé pour traiter les cotisations et répertorier les adhérents. En Australie, le nombre de compte inactifs, non identifiés ou perdus pose d’ailleurs un réel problème. Selon le Rapport Cooper de 2010 qui évalue le système de retraite, chaque travailleur possède en moyenne trois comptes de retraite et un travailleur australien sur deux possède un compte non « identifié » ou « perdu », ce qui représente un cinquième de la totalité des comptes.
Des réformes sont envisagées pour améliorer l’administration des comptes de retraite, telle que le regroupement des comptes inactifs ou « perdus » sur un seul compte, sauf refus express de l’assuré, ou encore l'utilisation du numéro d'identification fiscal du travailleur comme identifiant pour tous les régimes de retraite. Par ailleurs, il est envisagé d’introduire un produit de retraite simple et peu coûteux, avec des frais standards et une seule stratégie d'investissements diversifiés, baptisé « MySuper ». Il remplacerait les fonds « par défaut », quand les employés ne font de choix. Tous les comptes par défaut auraient vocation à être transférés dans « MySuper ».
Le KiwiSaver néo-zéolandais
La Nouvelle-Zélande s’est longtemps satisfaite de son régime de base universel et forfaitaire. L’épargne retraite et les régimes d’entreprise se sont peu développés. D’autant moins que les incitations fiscales à l’épargne retraite, jugées trop coûteuses, ont été supprimées dans les années 1980. Les assurés ont alors préféré investir dans l’immobilier, jugé plus intéressant. Par la suite, les propositions visant à remplacer une fraction de l’étage public par un étage de régimes contributifs en capitalisation se sont heurtées aux refus des néozélandais, profondément attachés au système étatique. Jusqu’à récemment, la plupart des retraités néozélandais assuraient leurs vieux jours uniquement grâce à la pension publique et à leur patrimoine.
La réforme de 2007, introduisant un plan d’épargne retraite privé auquel les salariés sont automatiquement affiliés dans le cadre de l’emploi, a donc constitué une petite « révolution ». En réalité, le programme KiwiSaver ne constitue pas un dispositif véritablement obligatoire de retraite. Si les nouveaux salariés sont obligatoirement affiliés au système dès leur entrée dans l’emploi, ils conservent néanmoins la possibilité de se désaffilier dans les huit semaines suivant l’embauche. Les autres salariés, les indépendants, les inactifs, peuvent souscrire à un régime KiwiSaver auprès d’un gestionnaire financier de leur choix. La fixation à un niveau modeste du taux de cotisation obligatoire, 4 %, qui passera à 6 % en 2013, répartis à parts égales entre l’employeur et le salarié, constitue également un moyen d’inciter les cotisants potentiels à adhérer. De plus, un adhérent peut suspendre le versement de sa cotisation pendant une période comprise entre 3 mois et 5 ans s’il a cotisé suffisamment longtemps. Enfin, il s’agit d’une épargne destinée à la retraite, mais quelques possibilités de déblocages anticipés sont prévues, en cas de difficultés financières graves, d’expatriation et d’achat du logement principal.
A son lancement, le programme comprenait de nombreuses incitations financières : abondement des « comptes individuels de retraite » par l’État à concurrence d’un certain plafond, prise en charge d’une partie des frais de gestion, exonérations fiscales des cotisations patronales, etc. Plus de la moitié des travailleurs néo-zélandais ont ouvert un compte KiwiSaver. Ce succès imprévu a entraîné un coût budgétaire très important, ce qui a conduit le Gouvernement à revenir en arrière. Seule la contribution initiale de 1 000 dollars néozélandais (environ 650 €) accordée par l’État aux nouveaux adhérents du programme est maintenue.
L’Océanie offre ainsi, sur un territoire extrêmement éclaté, une large palette de régimes de retraite, fonds de prévoyance, assurance sociale de type bismarckien, régime universel et forfaitaire de type beveridgien, filet de sécurité, épargne-retraite obligatoire rappelant le système chilien. Cet arc-en-ciel reflète des situations économiques et des influences historiques très diverses. Les deux principaux Etats, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, ont fait le choix de développer une épargne retraite essentiellement individuelle pour faire face au défi démographique et maintenir le niveau de vie à la retraite.