Le temps des réformes
En 1991, le livre blanc sur les retraites, préfacé par Michel Rocard, Premier ministre, comporte, pour la première fois, une projection à l’horizon 2040 de l’ensemble des régimes : « dans le cas le plus favorable, le taux de cotisation progresserait encore de plus de 50 % ».
1993 : les retraites du secteur privé
En 1993, la masse salariale diminue. Du jamais vu depuis la guerre. Pour la première fois, les règles du régime général et des régimes de base alignés, qui avaient été jusqu’ici toujours réformées dans le but d’améliorer les pensions, sont modifiées pour diminuer le niveau relatif des pensions et repousser l’âge effectif du départ en retraite :
- le calcul de la retraite, effectué sur les dix meilleures années, passe progressivement aux vingt-cinq meilleures années en 2008,
- la condition de 37 années et demie d’assurance pour partir sans abattement dès 60 ans est portée progressivement à 40 années en 2003,
- enfin, l’indexation sur les prix, et non plus sur les salaires, des pensions et des droits en cours de constitution, est pérennisée.
La même année, l’accord Arrco du 10 février prévoit le passage progressif du taux de cotisation obligatoire de 4 à 6 %, ce qui augmente les ressources des régimes. La possibilité pour les entreprises d’aller volontairement jusqu’à 8 % est supprimée. Le champ des opérations Arrco est désormais cantonné. L’accord poursuit également la politique de pilotage des régimes fédérés par le rendement de référence : les marges de fluctuation possibles d’un régime à l’autre sont considérablement resserrées.
En 1994, l’Agirc gèle la revalorisation du point de retraite, aligne les conditions de réversion pour les hommes (65 ans jusque-là) et les femmes (50 ans) sur l’âge de 60 ans, diminue les majorations pour enfants. Cette mesure donnera lieu à une instance judiciaire et aboutira à un arrêt de la Cour de Cassation du 23 novembre 1999 protégeant les droits liquidés.
En 1996, les accords Agirc et Arrco diminuent le nombre de points attribués chaque année de 1996 à 2000 par rapport à l’évolution des salaires. Il s’agit de rechercher un nouvel équilibre en baissant le rendement, non plus seulement en augmentant les cotisations, mais aussi en attribuant de moins en moins de points[1].
Le débat, qui portait principalement sur la question de savoir si la capitalisation devait ou non prendre le relais de la répartition, se déplace sur la question de l’âge, le patronat réclamant la remise en cause de la retraite à 60 ans, et sur l’absence de toute réforme des régimes spéciaux. L’Union européenne, qui avait attiré l’attention des Etats membres sur les perspectives difficiles en matière de retraite dès les années soixante-dix, prône l’allongement de la durée des carrières, le relèvement des taux d’emploi, le développement des régimes complémentaires d’entreprise en capitalisation, pour compenser la baisse au moins relative des retraites de base.
En 1999, un « Fonds de Réserve pour les Retraites » est institué. Il est censé atteindre 1 000 milliards de francs (150 milliards d’euros) en 2020 et contribuer à partir de cette date et jusqu’en 2040 à l’équilibre des régimes confrontés à la montée du papy-boom. Mais son financement repose en large partie sur les excédents, que l’on attend toujours, de l’assurance vieillesse et du fonds de solidarité vieillesse … Il gère aujourd’hui à un peu plus de 37 milliards d’euros, y compris la contribution versée par les industries électriques et gazières à l’assurance vieillesse du régime général pour la reprise de droits passés. Cette contribution doit être rendue en 2020 à la Caisse nationale d’assurance vieillesse[2]. Les fonds propres au FRR, quant à eux, doivent alimenter de 2014 à 2024 la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES).
En 2000 est créé le Conseil d’Orientation des Retraites qui remplit une double fonction :
- suivre l’évolution des régimes de retraite et conduire les travaux d’études et de prospective, mission remplie jusque-là de façon ponctuelle par le Commissariat au Plan ;
- contribuer à la concertation et aux propositions de réforme, son conseil d’administration associant parlementaires, partenaires sociaux, administrations et experts.
De nombreuses études et des rapports réguliers et publics viennent éclairer les pouvoirs publics, les partenaires sociaux et l’opinion. La France se dote ainsi d’une structure permanente à l’instar de nombreux autres pays. L’ensemble des régimes obligatoires fait désormais l’objet de projections régulières. On mesurera le progrès accompli en se rappelant que, si les régimes Agirc et Arrco ont dès l’origine procédé régulièrement à des projections à 10 ans, et parfois à 20 ans, les régimes de base ne faisaient qu’occasionnellement l’objet de projections dans le cadre des travaux du Commissariat général du Plan, les régimes spéciaux étant le plus souvent ignorés, leur équilibre étant censé être assuré par l’État, et donc ne pas poser de problème.
2003 et 2008 : les régimes spéciaux aussi
Les réformes de 2003 et 2008 étendent et prolongent celle de 1993 :
- elles l’étendent en appliquant aux fonctions publiques d’État et locales (2003), puis aux autres régimes spéciaux (2008), l’allongement de la durée d’assurance nécessaire pour l’obtention de la retraite sans abattement avant l’âge « normal » (qui varie selon les catégories) et pour le calcul de la retraite ;
- elles la prolongent en portant cette durée de 40 ans en 2008 à 41 ans en 2012 et en posant le principe d’un allongement fonction de l’évolution de l’espérance de vie.
Les contreparties accordées, abaissement de l’âge de la retraite à 56 ans pour les carrières longues dans le régime général, création d’un régime complémentaire en « répartition provisionnée » pour les fonctionnaires et agents des collectivités locales, le Régime Additionnel de la Fonction Publique, avantages divers pour les salariés relevant des régimes spéciaux, rendent ces réformes très coûteuses à court terme. Leurs effets positifs pour l’équilibre des régimes de retraite ne devraient apparaître qu’à moyen et long terme.
2010 : le tabou de la retraite à 60 ans brisé
La crise financière et économique qui commence en 2008 rend rapidement illusoires les espoirs de rétablissement de l’équilibre des régimes de retraite. Les réformes de 2003 et 2008, qui reposaient sur des projections plutôt optimistes, s’avèrent très insuffisantes. La mesure essentielle réside dans le relèvement de deux années de l’ensemble des âges de départ à la retraite.
Pour les assurés du régime général et des régimes alignés, la génération née au premier semestre 1951 est la dernière à pouvoir partir à la retraite dès 60 ans. Le relèvement, accéléré en 2011, porte cet âge à 62 ans pour les générations nées à partir de 1955. Parallèlement, l’âge auquel il était possible de partir au « taux plein » quelle que soit la durée cotisée passe de 65 à 67 ans. Des exceptions subsistent toutefois, en particulier pour les « carrières longues » et avec la création d’un nouveau dispositif de départ anticipé pour « travail pénible » permettant de partir avant 62 ans.
Ce relèvement de deux années s’applique également aux différentes bornes d’âges que l’on rencontre dans les régimes spéciaux. 50-55 ans pour les emplois pénibles et insalubres devient ainsi 52-57 ans. 55-60 pour les emplois dits actifs passe à 57-62, 60-65 pour les emplois dits sédentaires à 62-67 ans comme dans le secteur privé. Pour les militaires, le relèvement se traduit par un allongement de la durée minimum de service nécessaire pour pouvoir bénéficier de la retraite sans condition d’âge. Elle passe de 15 à 17 années pour les sous-officiers et de 25 à 27 années pour les officiers. Par ailleurs, la condition de 15 années de service pour pouvoir bénéficier de la retraite des fonctionnaires est réduite à 2 années pour les fonctionnaires civils, mesure qui sera étendue aux militaires en 2014. Cette mesure a pour but de faciliter la mobilité des fonctionnaires qui ne perdent plus de droits à retraite en quittant la fonction publique.
Parallèlement, l’augmentation du nombre de trimestres nécessaire pour bénéficier du taux plein et éviter la proratisation du montant de la pension se poursuit.
Cette réforme produit des effets et le taux d’activité des seniors poursuit sa remontée. Mais, promesse de campagne du Président François Hollande, un décret du 1er novembre 2012 assouplit les conditions pour partir à la retraite au titre des "carrières longues", annulant en partie l'effet du relèvement des âges de la retraite. Cette mesure s'ajoutant à l'aggravation de la crise économique, les perspectives de retour à l'équilibre prévues pour 2018-2020 grâce à la réforme de 2010 s'avèrent elles aussi illusoires.
2014
La loi du 20 janvier 2014 « garantissant l’avenir et la justice du système de retraites » poursuit l’augmentation prévue du nombre de trimestres nécessaires pour obtenir la retraite pleine de 166 trimestres pour les générations nées de 1955 à 1957 jusqu’à 172 trimestres, soit 43 années, pour les générations nées à partir de 1973 (62 ans en 2034).
L’équilibre financier est recherché à travers un relèvement progressif des cotisations aux régimes de base et par le report de la revalorisation des pensions du 1er avril au 1er octobre.
Diverses dispositions, telles qu’une validation plus facile des trimestres, tendent à améliorer les droits des assurés. La loi crée également un compte de points pour pénibilité, points qui pourront être utilisés pour bénéficier d’une formation, d’une réduction du temps de travail ou pour acheter des trimestres permettant un départ anticipé à la retraite.
D’autres mesures tendent à coordonner les différents régimes et à simplifier la gestion : calcul des retraites relevant du régime général et des régimes alignés par un seul des régimes comme si l’assuré n’avait relevé que de lui, création d’une union des institutions et services de retraite qui reprend l’information des actifs créée par la réforme de 2003 et se voit chargée de piloter les projets de simplification et de coordination, y compris le répertoire de gestion des carrières unique qui rassemblera toutes les informations et droits acquis par les assurés dans tous les régimes obligatoires, de base et complémentaire.
[1] Le rendement dans un régime par points correspond au rapport, une année donnée, entre la valeur d’un point de retraite et son prix d’achat. L’indexation de la valeur du point sur les prix et du prix d’achat des points sur les salaires (+ 3,5 % par an à l’Arrco et + 4 % à l’Agirc de 1996 à 2000) aboutit à attribuer moins de points et contribue à baisser le rendement. Pour davantage d’explication, se reporter à la Lettre de l’Observatoire n° 14 « La technique de retraite par points ».
Histoire de la retraite en France