Prix de thèse de Bastien URBAIN
La construction juridique du système de retraite à l’épreuve de son financement
Thèse de doctorat en droit privé de l’Université de Lille Sous la direction de Madame Dominique EVERAERT-DUMONT et de Madame Stéphanie DAMAREY. Thèse publiée sous le titre "Le système de retraite à l'épreuve de son financement"
Alors que se profile une nouvelle réforme des retraites, la thèse intitulée La construction juridique du système de retraite à l’épreuve de son financement est l’occasion de mener une réflexion nouvelle sur la question de la prise en charge du risque « vieillesse ».La thèse débute par une introduction dans laquelle sont retracées les grandes étapes historiques qui ont contribué à façonner le système de retraite actuel. Vient ensuite le moment de préciser l’objet de l’étude. Les recherches partent alors d’un double constat. D’une part, le système de retraite est confronté à d’importantes difficultés financières. D’autre part, les réformes entreprises depuis le début des années 1990 dans le but de rétablir l’équilibre des comptes sociaux vont globalement dans le même sens. Il s’agit pour l’essentiel de diversifier la structure des recettes affectées au financement du système de retraite, de renforcer les pouvoirs de gestion de l’État, et d’harmoniser (« par le bas ») les conditions d’assurance ainsi que les modalités d’ouverture et de calcul des droits à pension. En analysant les mesures adoptées depuis près de 30 ans, il apparaît que les choix politiques sont très largement dictés par des impératifs comptables. Les pouvoirs publics prennent en effet toutes les mesures qu’ils estiment susceptibles d’augmenter les recettes du système de retraite, de stabiliser ses dépenses et in fine, de garantir son équilibre financier. En ayant une vision essentiellement arithmétique de la situation, ils ont cependant négligé de questionner la cohérence normative des réformes adoptées. En effet, les techniques financières et les outils mobilisés pour financer les retraites ne sont pas neutres. Des mesures qui apparaissent au premier abord comme étant essentiellement techniques et comptables vont en réalité pouvoir renforcer les principes sur lesquels repose la prise en charge du risque « vieillesse » ou au contraire, les affaiblir. Or, les réformes engagées depuis le début des années 1990, parce qu’elles sont dictées par des impératifs financiers, ont fini par porter atteinte aux principes fondateurs du système de retraite. La première partie de la thèse est consacrée à l’étude des principes sur lesquels a été bâti le système de retraite français et qui font sa singularité. L’objectif est plus exactement de les identifier, de les définir, d’expliquer la manière dont ils s’articulent entre eux, et de comprendre comment ils ont été concrétisés à la Libération. Il s’agit en d’autres termes de démontrer que l’organisation administrative et financière mise en place à la Libération n’est pas le fruit du hasard. Les modalités de financement du système de retraite établies en 1945 visaient à concrétiser une vision essentiellement contributive, corporatiste et équitable de la prise en charge du risque « vieillesse ». La seconde partie de la thèse revient sur les modifications apportées aux règles de fonctionnement du système de retraite depuis le début des années 1990. L’objectif est de démontrer que les réformes répondent à une logique financière évidente, mais qu’elles manquent de cohérence normative, c’est-à-dire qu’elles entrent en contradiction avec les principes sur lesquels repose le système de retraite. Ainsi, les mesures d’exonération et de réduction des cotisations « vieillesse » contribuent à affaiblir la logique contributive du système de retraite ; le développement de la fiscalité participe à l’inverse à renforcer sa logique redistributive ; en ne mettant plus uniquement à contribution les travailleurs, les pouvoirs publics privilégient de plus en plus la solidarité nationale à la solidarité professionnelle ; la volonté de fusionner ou de supprimer certains régimes menace l’organisation corporatiste de l’assurance « vieillesse » ; l’alignement des conditions d’assurance et des modalités de calcul des droits à pension au sein des différents régimes de retraite marque le retour en grâce d’une conception de la justice fondée sur une plus grande égalité en droit ; le renforcement des pouvoirs de gestion administrative et financière de l’État marque une volonté de revenir sur le principe d’une gestion des caisses de retraite par les « intéressés » et traduit le passage d’une démocratie sociale à une démocratie politique. En définitive, l’organisation administrative et financière du système de retraite est actuellement à mi-chemin entre deux logiques. Elle ne répond plus tout à fait à l’approche traditionnelle de la prise en charge du risque « vieillesse », fondée sur les principes de contributivité, de corporatisme et d’équité. Elle ne s’inscrit pas non plus entièrement dans un nouveau cadre, davantage fondé sur l’idée de redistribution, d’universalisme et d’égalité. Cette situation soulève un certain nombre de difficultés – aussi bien théoriques que pratiques – sur lesquelles il s’agira de revenir. La seconde partie de la thèse s’achève sur un chapitre permettant d’explorer les voies possibles d’une réforme qui serait non seulement efficace sur un plan financier, mais également cohérente d’un point de vue normatif et idéologique. En définitive, cette thèse combine une approche théorique et pratique. Elle permet en effet de réfléchir aux principes qui font (ou devraient faire) l’identité du système de retraite tout en envisageant la manière de les mettre en oeuvre de façon cohérente et efficace. En outre, si le sérieux de la démonstration requiert l’utilisation d’un vocabulaire précis et rend indispensables certains développements techniques, le style et la forme ont été travaillés de manière à ce que la thèse soit claire et accessible au plus grand nombre. Enfin, il semble important de relever l’interdisciplinarité de la matière traitée, la question des retraites étant susceptible d’intéresser le droit, l’économie, la sociologie ou encore l’histoire. Bien que les recherches tiennent compte de ces différents aspects, la thèse n’en demeure pas moins un travail essentiellement juridique. En outre, le fait que la thèse ait été encadrée par une enseignante privatiste et par une enseignante publiciste traduit une volonté de ne pas s’enfermer dans un chemin de pensée et de dépasser le clivage traditionnel droit privé/droit public.